jeudi 28 février 2013

What else?

Il y a quelques jours, je m’étais ému de la starbuckisation rampante de notre café. C’était là (http://lebarbe.blogspot.fr/2013/02/un-canard-dans-le-cafe-non-un-sirene.html) et je vous avais promis de revenir piquer un peu le sujet, sous un angle un peu plus suisse cette fois.

Le Barbe qui s’excite contre le café suisse. Tout un programme qui soulève à lui seul plusieurs interrogations : existe-t-il du café suisse ? Un suisse est-il excitant ? Pourquoi le Barbe se sent-il obligé de nous parler de tout ça ?

Je vais tâcher de répondre à l’ensemble de ces questions.

A ma connaissance, la Suisse n'est pas une terre de café au sens « cultural » du terme, bien que je puisse être surpris. Il existe en revanche une multinationale de nationalité suisse (une multinationale qui a une seule nationalité, what else the fuck ?) très active, qui a œuvré à une premiumisation de notre café quotidien, celui que nous consommons chez nous.

Le concept est simple : on prend du café, on le met sous capsule. On crée des machines adaptées à ces capsules, et on vend ces dernières dans un cadre raffiné. Et tout le monde adore.

Pourquoi les gens sont-ils aussi sensibles aux charmes de ces capsules ? Parce que ces petites capsules ont réussi un double pari, aux finalités a priori contradictoires : vulgariser un café premium. Faire croire aux gens qu’ils sont des êtres uniques, parce qu’ils boivent un café soit-disant extraordinaire. Mais le faire croire à un maximum de gens ordinaires.


Je me souviens de ma première rencontre avec ces petites capsules. On m’avait offert une machine, il allait bien falloir que j’y mette quelque chose à l’intérieur ! Direction donc une de ces boutiques dévolues à la marque.

La première chose qui m’a interpelé à mon arrivée est la présence d’un portier. La perspective de devoir me sucrer un grand black pour pouvoir me taper un petit noir ne me réjouissait pas, et l'inverse pas davantage. Mes vieux souvenirs de boite de nuit m’avaient amené à détester ce genre de situation, où un type assez bête pour mettre des lunettes de soleil passé minuit, s’octroyait le pouvoir de me refuser l’accès à un établissement où j’étais benoitement venu dépenser de l’argent.

J’étais à deux doigts de tourner talons, lorsque le videur en question m’ouvre la porte avec un grand sourire et m’envoie un « Bonjour-Monsieur-bienvenue ! ». Waouh. Mon cerveau court-circuite, un physio qui me souhaite la bienvenue ! Mon Dieu, dans quel guêpier me suis-je fourré ? Tous mes sens sont en alerte tant la situation me semble anormale : ouverture immédiate ; je suis seul (sous-entendu, pas de filles) ; je suis en basket crades. Ça sent le traquenard.

Je rentre, je m’approche du comptoir. L'impression "boite de nuit" persiste, puisque je suis reçu par un jeune homme en costume, qui aurait pu servir des Bacardis à l’Hôtel Costes. Elle est cependant immédiatement balayée au moment où il s’adresse à moi avec une politesse qui frise l’obséquiosité. On n’est pas à l’Hôtel Costes, mais plutôt au Crillon.

« Bonjour Monsieur, bienvenue au Club Nespresso. » Et oui, c’est un club. Non, pas une boîte de nuit, mais bien un club. Un club un peu particulier cependant. Un club en principe, c’est un endroit fermé, secret. On n’y entre sur invitation, voire sur cooptation. Ici, non. Il s’agit d’un club réservé à tout le monde. Chacun peut accéder à une carte de membre, il suffit de la demander. Comme la carte Navigo à la RATP en fait.

« Que puis-je faire pour vous être agréable ? » Et bien déjà me parler à moi, mon vieux, parce que mes chaussures elles ne vous répondront pas. Rien de snob là-dedans, elles n’ont simplement pas appris à le faire, no offense. M. Crillon a passé la totalité de notre discussion courbé à 45° dans l’attente d’une absolution de ma part qui ne viendra jamais. Je m’y suis vite fait, et lui ai donné le change en prenant le parti de ne discuter qu’avec le sommet de son crâne. Il a de son côté continué sa conversation avec mes tennis.

Vient alors le moment où il me faut choisir le café. Arpégio, Volluto, Fortissio Lungo, Livanto. Ok, une boite de nuit où on ne passe que du Vivaldi, donc. C'est louche. Mes antennes vibrent. Le piège est en train de se refermer. Pas grave, je prends trois paquet de chaque.

« Autre chose Monsieur ? Sucre, tasses, petits gâteaux ? » Et là je repense à mon resto chinois, celui qui met les photos de ses plats. Lui aussi il te vend les baguettes et la sauce soja, une fois que tu as acheté tes sushis-que-tu-vas-pas-manger-avec-tes-doigts-sans-sauce (Oui, le sushi est bien un plat chinois. On en reparlera peut-être un jour). J’arrête Monsieur Scoliose tout de suite avant qu’il n’essaie de me vendre l’eau que je vais mettre dans la cafetière, et demande à régler.

« Ça fera 62 € Monsieur. » 62€ ?! Et si je vous ramène les capsules en consigne vous me le faites à combien votre café? 62€ ? Je lui explique au type : 2€ le café, 4€ les deux et je dragouille gentiment. A 62 € l’addition, M. Scoliose a intérêt à m’offrir le viagra.

« Oui, Monsieur, je comprends bien. Mais à ce prix-là, c’est un peu comme si vous partagiez un ristretto avec Monsieur Georges Clooney. »

Et voilà. Le code carte bleue est composé, le piège s’est refermé.

Faire croire à quelqu’un de normal qu’en buvant un café « extraordinaire » - en réalité à peine amélioré par rapport à son Grand-Mère habituel – il devient quelqu’un d’extraordinaire. C’est ce même argument vil et vieux comme le monde, que Maître Renard a utilisé pour voler le fromage de Maître Corbeau. Il ne s’est pas concentré sur le fromage mais sur le corbeau. De la même façon Starbucks, Nespresso, certainement tant d’autres, ont compris qu’il ne servait à rien de concentrer leur stratégie sur ce qu’ils avaient à vendre, mais sur « à qui » le vendre: quelle personne deviens-tu en achetant mon produit? Starbucks ou Nespresso, le concept est différent, mais la finalité est la même : faire croire à celui qui boit le café, que, ce faisant, il devient une personne différente, cool ou chic. Un peu comme dans ces westerns où les charlatans vendaient du whisky coupé en prétendant qu’il s’agissait d’un remède miracle, aidé d’un complice en fauteuil roulant, prompt à bondir à la première goulée.

Et nous aimons ça. Nous aimons qu’on nous raconte des chansons. Nous aimons qu’on nous raconte des histoires dont nous serions les héros, tels que nous nous fantasmons, et non tels que nous sommes. Et bientôt, dans pas si longtemps, quand nous serons lassés de cette histoire nous en voudrons une autre. Pourquoi pas une histoire qui se déroulerait dans un endroit un peu miteux, avec du sucre sur le comptoir qui colle aux coudes ; avec des œufs durs sur le zinc, dont on se demanderait si des poussins ne seraient pas sur le point d'en sortir, tellement ça ferait longtemps qu’ils seraient là ; avec un barman patibulaire, aimable comme une porte de prison, qui frotterait des verres désespérément sales...

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